• Fuite ou courage.

    Il est 16h. Je dois aller voir une dame à Paris pour savoir si je suis précoce de la tête ou non.
    Je n'ai pas envie d'y aller. Moi j'ai pas envie de savoir si je suis ça ou ça. Moi je suis Soja. Je ne sais pas très bien qui je suis, mais si je suis sûr d'une chose, c'est que ce n'est pas cette dame qui m'apprendra la moindre chose. Par contre, si je pars sur la route, ça pourra me servir.

    Soit. Je me prends au mot. En 30 minutes j'ai décidé de partir, je me suis préparé et je suis parti.
    Après quelques prises de bec au téléphone, je me calme, je vais dans une forêt et je souris : le soleil fait briller les herbes folles.

    "Tu fuis ! Tu ne veux même pas aller voir ! Des fois il va falloir que tu affrontes la réalité ! Tu n'as aucun courage !" Chut. Silence.

    Je me balade.Je dors derrière une résidence pavillonaire de Poissy. Je cherche le chemin qui me mènera à la forêt, que j'aperçois derrière les pavillons de crépis alignés. Je m'installe.J'appelle Anaryax parce que je ne me rappelle plus comment nouer les ficelles du hamac. Puis le silence de la nature me rappelle. Par moment, quand même, j'entends les cris des enfants qui dînent. Ces mêmes enfants dont j'ai croisé les cabanes, un peu partout dans la forêt. Malheureusement trop petites pour me servir d'abri.

    Le lendemain je traverse un champ de coquelicot en face d'un chantier naval, j'en prends des photos. Ensuite je m'arrête aux bords de Seine pour écrire un peu.
    Je trace.
    Puis à Conflans-Ste-Honorine je longe tout le quai pour voir les péniches. Je passe devant un gros bonhomme presque nu, affalé sur une vieille chaise en face de sa péniche et en caleçon bleu. Je le salue. Je m'arrêt devant une vieille péniche apparemment désaffectée et j'hésite à aller la visiter. J'y renonce finalement, par peur de déranger si elle était habitée et parce que la barrière qui en barre l'entrée est imposante.
    Je me dis qu'on devrait squatter une péniche, vu la taille et la possibilité de bouger.

    Au bout d'une matinée de route, je manque d'eau. Ca fait 5 minutes que je tente de trouver le Leclerc que j'avais vu signalé. Je le trouve - merde. C'est un Leclerc DRIVE.
    "Il doit bien y avoir un putain de supermarché, ici !"

    J'arrête pas de passer devant un énorme cinéma PATHE, complètement gris et incroyablement grand. Au bout de 20 minutes durant lesquelles j'ai parcouru touute la zone industrielle (et un peu commerciale) derrière,  je me décide à aller voir Robin Hood. Le caissier, un jeune, me fait payer un billet -16, "oh allez on va pas chipoter..."
    Puis il me regarde et demande : "Sauf si...C'est une casquette de l'OM que tu as ?"
    "Euh...Non."
    "Bon, alors ça va."
    Il faut dire que je porte une vieille casquette avec un sigle "NY" repeint et raturé.
    Dans le cinéma il y a des distributeurs à pop-corn, des néons partout et même une salle de jeux vidéos. Génial... Je me dépèche d'aller remplir mes bouteilles d'eau et je vais m'installer dans la salle.
    Le film me donne envie de gueuler. Ce qui me plaît, ce sont les enfants des bois. Mais bon, ça sert à rien, c'est juste des images en provenance d'Hollywood. J'ai mieux à faire. Je sors.

    Arrivé à Pontoise, je m'arrête pour acheter de quoi bouffer. J'en profite pour visiter le centre-ville, c'est plein de places vides et de petites rues presque moyen-âgeuses. Ca me donne envie de visiter plus loin, mais il faut que je trouve une forêt avant la nuit.

    Je sors de la ville en direction de la campagne, et je croise des fermes absurdes à quelques minutes de vélo du centre-ville urbanisé. Il y a même une Porsche arrêtée devant l'une d'elle. Je crache dessus. Ca défoule quand on est fatigué.

    Je trouve un champ en friche, j'y entre immédiatement. Je m'y allonge. Je suis entouré d'herbes hautes, loin de leurs merdes...Tiens, qu'est-ce qui passe là-haut ? Un avion. Une longue traînée de pétrole consumé déchire le ciel. Tout mon bonheur s'écroule. Qu'est-ce que je croyais ? Le truc c'est pas essayer d'échapper, c'est de lutter contre. Même ici, leur merde me rattrape.
    Je me relève. Un bruit d'herbes qu'on piétine furieusement derrière moi. Une biche jaillit des herbes hautes et s'enfuit par grands bonds dans le pré. Sa silhouette se découpe sur le ciel où le Soleil commence à se coucher. C'est beau. J'ai l'impression de vivre la scène dans le film "Into The Wild", quand Alex regarde des rennes avec des larmes aux yeux. Putain j'ai bien fait de faire ça.
    Je vis chaque moment.

    Je monte une colline entourée de champs à perte de vue. Au fur et à mesure que je pédale je vois se dévoiler une immonde tour HLM, du genre toute grise et très vieille, dressée au milieu de nulle part. Sans rien ni personne autour. Tellement grise que je crois un moment qu'elle est abandonnée.
    Là je croise un vieil homme qui promène son chien. Il me demande si je prends des photos, on parle un peu. Quand je prends mon vélo pour chercher le coin qui m'abritera, il me croise une seconde fois et découvre que je suis un "randonneur". "C'est toujours mieux que de faire des conneries, hein" me lance-t-il avec des yeux tristes.

     Je repars encore, je longe un espèce de camp militaire (ou une prison, je sais pas...de toute façon, ça revient au même) avec no man's land, caméras, barbelés et murs grillagé de 15 mètres. C'est terrifiant, y'a pas la moindre humanité, pas la plus petite silhouette humaine. J'accélère.

    En face de moi s'étale en lettres énormes "CENTRE COMMERCIAL E.LECLERC".
    J'y vais me ravitailler, c'est tellement grand que je devine à peine les gens de l'autre bout du rayon !

    Je préfère la forêt, je me dépèche de quitter ces enseignes clignotantes.

    Je trouve un petit bois en pente, j'accroche avec difficulté mon hamac sur les troncs trop lisses. Je fais un feu et j'y fais chauffer une conserve de raviolis. J'écoute des jeunes du coins passer en parlant de filles, les cris des enfants qui jouent dans les jardins familiaux pas loin, les bruits des mobs, les hululements, le silence enfin.

    Il ne manque qu'un présence avec qui le partager, ce bonheur qui m'envahit. Les potes, un amour, ou au moins quelqu'un.

    Je dors. Il fait chaud. Dans les arbres, un trou dans le feuillage a la forme d'un visage.

    Le lendemain, je me lève avec des boutons pleins le corps. J'aurais pas dû dormir en t-shirt.

    Quelques gouttes.
    J'entends un énorme craquement tout proche de moi ; c'est l'orage. Merde. Je me dépèche de ranger, et quand je sors du bois, je me prends une douche phénoménale. Waouh, ça refroidit sacrément l'enthousiasme, le bien-être, tout ça. Après avoir pataugé dans la boue du chemin forestier, je sors de la campagne, je rejoins Pontoise. Pontoise grise et vide sous la pluie battante. Je suis tellement mouillé que je ne sens plus le froid. Je pédale.

    Je croise une Merco dans une rue froide, je tente d'arracher son sigle, en vain. Je découvre que c'est flexible et que le support peut pivoter. Ca sera plus dur que je ne le pensais de m'en faire un pendentif.

    Je pédale une heure sur une départementale parcourue par des centaines de voitures. Il pleut, je galère, c'est dur. Je me perds souvent, je me rends compte à plusieurs reprises que j'ai fait demi-tour, plusieurs bagnoles me frôlent. Déjà qu'en voiture c'est laid, en vélo c'est vraiment ignoble, surtout quand la pluie se déchaîne.

    Je sens la crise de nerfs arriver. Je commence à chanter ce qui me passe par la tête. Le punk ou la oi!, c'est vraiment pas facile à chanter seul et sans musique. Tant pis, je vais chanter du Léo Ferré.

    Les "Putain ça fait CHIER" lancés aux conducteurs aveugles se transforment en "ILS SONT PAS UN SUR CENT, ET POURTANT..."
    Je n'arrête pas de voir des publicités pour restaurant, établissements de massages, parcs, zoos ou sex-shops.
    Jamais de panneaux de villes.
    "Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre de la Cité de l'Auto, bordel ?!"
    Après avoir fait le tour d'une zone industrielle et croisé deux skins, je retrouve mon chemin. Ou plutôt ma route.

    Sur un marché j'achète deux pommes et j'en profite pour discuter avec la vendeuse. Elle a l'air déçue de savoir que je ne viens pas de très loin. Elle m'aide à ranger les pommes dans mes sacoches, puis encore un "au revoir, bonne journée", j'enfourche mon compagnon d'route et je repars.

    Je suis seul et de nouveau sur une nationale. Il bruine, et je suis crevé. L'énervement est parti, la mélancolie arrive. Je vais devoir rentrer, malgré la terrible envie de rester là, à pédaler, toujours le regard sur l'horizon d'en face, et d'écrire ça dans un quelconque cybercafé.

    Je croise un type trop grand pour son mini-vélo, qui roule à contresens sur une départementale bondée avec un sweat gris sur lequel il a graffé des mots en grandes lettres. Je déchiffre "BALANCE" et "ZA".
    Il débite en gueulant des textes de rap avec une grosse voix et me regarde derrière ses lunettes de soleil et son bob en cuir.
    Pendant un temps je l'observe s'éloigner et je passe en revue ce que j'ai bien pu manger ses derniers temps pour voir des choses pareilles. Mais non, il a l'air bien réel. Je continue.

    En longeant une forêt je vois beaucoup de sacs plastiques et mon regard s'assombrit, comme d'habitude. Je dépasse les premières voitures arrêtées sans vraiment les regarder, je m'enferme plus profondément dans mon armure et mon visage devient un masque de détermination triste. Les premières prostituées, presque toujours en mini-jupe et à la peau mate, me voient passer. J'ai le temps de deviner l'une d'entre elles en pleine action. J'ai la nausée.
    C'est fait sans aucune gène, les gens s'arrêtent et tirent leur coup. Je pourrais relever les numéros d'immatriculation des "clients". Peut-être un Ministre ou quelqu'un d'important, qui sait ? En R5, ça m'étonnerait, m'enfin tout est possible.

    Sous un pont il y a dix caravanes arrêtées. Des enfants et des adultes déambulent autour. Ils sont pratiquement en haillons.C'en est à se demander, sinon à quelle époque, du moins dans quel pays on est.
    Liberté, égalité, fraternité. Ils se foutront encore longtemps de notre gueule ?

    Toujours plus loin, je croise un poteau sur lequel sont accrochées plusieurs directions.
    Le panneau le plus en haut indique "<--- Mac Donald's"
    Le panneau d'en dessous indique : "Mac Donald's --->"
    Quelle merde...

    Ca y est, je me décide à rentrer. En attendant de ne plus avoir à le faire.

    "Bon, on a vu que tu avais du courage. Si, si, aller comme ça, seul, en forêt pendant 3 jours...On sait pas si on aurait osé, nous..."

    Oui. Ca vous fascine, ça. La liberté et l'absence de recherche de sécurité.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 8 Juin 2010 à 23:15
    J'attends la suite pour poster un vrai commentaire. C'est dommage tes anecdotes du début sont vachement expéditives ! J'ai hâte de voir le tout :D
    2
    Mercredi 9 Juin 2010 à 11:09
    Je veux pas faire un truc de 30 metres de long non plus, j'ai trop de choses à dire, on verra si je développe.
    3
    Jacek
    Mercredi 9 Juin 2010 à 17:16
    Ouaip pas mal la petite virée, enfin c'est toujours mieux accompagné!
    Punks and Skins need to live together
    4
    6.
    Mercredi 9 Juin 2010 à 18:02
    Bien détaillé, toujours une idée écrite de tes opinions de chaque chose que tu vois.
    5
    Mercredi 9 Juin 2010 à 18:49
    C'est cool en entier ! C'est bien que tes parents se soient rendus compte que la lâcheté n'est pas forcément ce qu'ils croient. En tout cas c'est bien que tu soit parti seul, ça te fait une expérience différente que d'être avec des vieux cons comme Ismael et moi !

    Le mec en BMX sur la nationale à contre sens ... il déchire. Je fais pareil à vélo quand j'me crois tout seul, je rap fort, mais quand je croise quelqu'un j'ai le seum.

    Faut définitivement qu'on apprenne des trucs à chanter, ça va pas du tout là. On en aura besoins pour la Bretagne !

    "Y'en a pas un sur cent, et pourtant, ils exiiiiiistent ! La plupart espagnoooles, allez savoir pourquoooiiiiiiii, il faut croire qu'en espaaagne, on ne les comprends paaaaaaaaas, les anarchiiiiiisteeeeeuuuuuuh."
    6
    liliebird
    Jeudi 10 Juin 2010 à 02:29
    moi j'ai été trauma par léo férré, ma mère était fan entre julien clair et higelin... arf
    j'ai souvent révé une virée comme ça, mais je finirai surement en crise de panique au bout de quelques heures au fond d'un hangar désaffecté...
    7
    Soja
    Jeudi 10 Juin 2010 à 21:01
    Tiens pourquoi ? Tu as peur de quoi ?

    Je ne me sens jamais autant en confiance que dans la forêt, avec des amiEs.
    8
    Dimanche 13 Juin 2010 à 15:41
    Intéressant.

    et ... passionant. J'aime.

    :D
    9
    Mardi 6 Juillet 2010 à 22:23
    Ah les voyous qui chantent à tue-tête à travers la campagne en faisant fuir les merles moqueurs et les gais rossignols tout en arrachant les symboles capitalistes sur les capots des Mercos, ah, elle est belle, la jeunesse !
    Le coyote s'est très souvent promené comme ça mais sans compagnon de route à deux roues et pédales, c'était soit la patte tendue, soit à quatre pattes, à pied, quoi. Bravo pour la promenade et pour sa narration.
    Y en n'a pas un sur cent, et pourtant ils existent, et tant mieux !
    10
    chêne
    Lundi 12 Juillet 2010 à 22:53
    intéressant... et si vrai.

    la forêt c'est le seul endroit où on peut vraiment vivre, où on peut s'echapper de tout.
    peut-être parce qu'on revient à nos racines, à la vie sous son état le plus pure...? j'en sais rien. Un seul mot qui puisse la décrire, circonvenir d'une manière infime le pouvoir énorme qu'elle a sur nos âmes- liberté.

    au nord, y'a des endroits sans HLM, sans bâtiments gris, sans rien qui appartiennent à la société, à des kilomètres à la ronde... la nature non- teintée par les actions humaines.
    en région parisienne c'est un peu plus difficile de trouver ça et de pouvoir en profiter, mais ce que t'as fait n'est pas mal avec les moyens de bord ;)bravo.
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